Rien n'est obligatoire; je ne suis moi-même pas obligé d'être moi. Tout ça est sans conséquences réelles, véritablement sans danger et je pense même pouvoir, avec le temps et l'expérience, appeler cela un jeu, sans craindre d'offusquer personne, surtout pas mes observateurs qui sont à présent habitués à bien pire de ma part sans manifester outre mesure leur mécontentement.
C'est tout du moins ce que je m'autorise à croire et la réalité, qui se fait toujours plus dense quand on y regarde d'un peu trop près, me rappelle souvent à l'ordre en me disant que mes perceptions sont erronées et que mes affirmations à propos de mes semblables ne sont que de vastes plaisanteries tout juste bonnes à faire rire n'importe qui se penchant dessus avec un minimum de sérieux.
Alors, quoi, il me fallait donc tout abandonner? Me rendre à l'évidence, les mains au dessus de la tête en criant « c'est vrai, je l'ai fait, je me suis trompé, j'ai cru bien faire et c'était faux, regardez-moi, qui me suis fourvoyé quand vous aviez tous raison » ? Je ne crois pas. Je ne sais pas serait plus juste, mais je préfère la croyance au savoir dans ce genre de cas, car elle a le mérite d'être malléable et relative alors que l'absolu et l'exactitude me font de plus en plus peur.
Dead In Existence by *bleed-the-sky
Personne ne me force à être qui je suis et pourtant le temps me fait sentir le poids, l'importance des autres sur ma personnalité. Ils m’appellent par un prénom, ce sont à présent eux qui me nomment après que je me sois présenté, ils me proposent une bière et non pas un café, je n'ai plus rien à dire, je suis pour eux un buveur de bière, avec des goûts qu'ils m'attribuent après que je les aie affirmés, certes, mais si je venais à en changer?
Je n'ai pas de réponse à cela, si je voulais devenir quelqu'un d'autre il me faudrait me débarrasser des autres car ce sont eux la structure, la véritable enveloppe externe de ce moi qui me compose. Même quand je ne suis pas là je reste le même car c'est eux qui sont les détenteurs de mon image pour le monde, je n'existe pas sans un regard. Sans cette vue extérieure je serais comme le bruit de cet arbre qui tombe dans la forêt sans que personne ne puisse l'entendre. Je serais éventuellement une notion grâce à des documents officiels, eux mêmes créés par d'autres parfois même avant mon existence. Mais je ne serais guère plus.
Si je ne change pas vraiment c'est parce que personne ne change, à vrai dire. Comment faire admettre un bouleversement aussi profond que « je ne suis plus moi » à des êtres qui vous ont toujours connus ainsi. Soit vous passez pour un fou, soit pour un marginal. Au mieux vous serez « celui qui a été » avant de changer brutalement.
Il n'y a que des évolutions, généralement mineures. Le changement n'est admis qu'après un événement, souvent brutal, de taille à le justifier. Et encore, il sera remis en question une fois les conséquences de celui-ci effacées au loin. Sauf si le changement en question s'accommode avec la perception qu'ont les autres de ce qu'ils voudraient que l'on soit. Auquel cas on peut dire que le changement n'est acceptable qu'en « bien » pour une personne ou une autre, et non uniquement en « différent », ce qui élimine toute notion de réelle liberté puisqu'une fois de plus on dépendra de cette vision externe, de cette extrapolation sur notre être forgée à partir d'éléments qui, au départ plus ou moins contrôlés, nous échappent ensuite de façon complète pour parfois se retourner contre nous.
Qui n'a jamais été catégorisé de façon totalement inexacte par un proche, une connaissance, un ami voire ses propres parents? Personne, je le crains. Si on possède un argumentaire suffisant, on arrive cependant à faire évoluer ce type de perceptions, mais il reste toujours ce noyau dur, cette création qui apparaît être nous-mêmes pour tout le monde et dont on ne peut tout simplement plus se débarrasser au bout d'un certain temps.
On peut comprendre que quelques-uns prennent alors des virages brutaux dans leur vie; se convertissant à une secte, partant vivre dans un coin reculé loin de tout, abandonnant derrière eux tout ce qui leur colle à la peau de façon tenace, toute cette peinture illusoire appliquée au fil des ans par nous-mêmes et fixée par le vernis des Autres.
Il est tout à fait logique que certains pètent les plombs d'un jour à l'autre, sous le poids de cette dictature invisible mais néanmoins pesante. Quand il n'y a pas d'autre solution que d'être un soi-même qu'on ne choisit plus, vient un moment où la seule alternative est violente, quelle qu'elle soit.
Et tout ça pour quoi? Je n'ai pas de réponses réelles, que des constats et trop de questions en suspens que je n'ose parfois même pas me poser.
Mais un jour, je changerai.
Quoi que ça implique.
Mais là, je ne peux que féliciter ta belle écriture et tes réflexions (on a tous déjà réfléchis à notre image extérieure, sans vraiment aboutir à une vraie réponse. Après ton texte, je pense y voir plus clair).
Il faut voir le côté positif : on peut être qui on veut aux yeux des autres, sans se découvrir. C'est une forme de petite armure, qui sait.
A nous de trouver ceux qui nous paraissent dignes de nous reconnaître à notre vraie valeur, je crois.
Bonne journée :)